LE CHOIX DE LA MOUCHE A SAUMON

Laisser libre cours à votre imagination.

Aussi passionnante soit-elle, la pêche du saumon à la mouche reste sans aucun doute l'une des disciplines les plus énigmatiques et les plus frustrantes que je connaisse. Si l'expérience acquise au cours de 20 années de pêche sur les rivières d'Irlande et d'ailleurs m'a permis de glaner quelques succès, elle ne m'a jamais mis à l'abri des humiliations que ce poisson merveilleusement paradoxal et fantasque semble avoir le don de vous infliger avec une régularité déroutante. La perpétuelle recherche de la Mouche Exacte est l'équivalent halieutique de la Quête du Graal, elle a débutée il y a fort longtemps, et n'est pas prête de se conclure. De toutes façons, même si les chances de réussite sont bien souvent très hypothétiques, le fait de pouvoir pêcher une rivière à saumon est un privilège qui devient rare et finalement l'essentiel n'est-il pas avant tout de participer...

D'évidence, je ne suis pas le seul participant à être la recherche de la mouche miracle ou du leurre universel qui pousserait Salmo Salar à la faute avec une certitude mathématique. En effet, depuis des siècles, des générations de pêcheurs fanatiques ont cherché, en vain, à percer le mystère profond qui entoure le comportement imprévisible de ce poisson dès qu'il quitte les eaux marines pour commencer sa longue remontée vers les frayères qui l'ont vu naître.

Tout pêcheur au saumon à la mouche se rend très vite compte, à ses dépends, que cette discipline est remplie d'une foule d'illogismes et de contradictions. Mais comment pourrait-il en être autrement lorsque l'on a affaire à un adversaire fantasque, imprévisible et souvent léthargique mais qui daigne de temps à autre intercepter un leurre ou une mouche alors qu'une grande partie de son système digestif s'est atrophié au point de rendre l'ingestion de la moindre nourriture physiquement impossible !

Face à face avec ce paradoxe énigmatique, les premiers "Anglers" anglo-saxons utilisant leur esprit conservateur, leur sens de l'observation bien connu et leur curiosité ancestrale tentèrent de déchiffrer le puzzle.

Tout comme les enquêtes du célèbre Sherlock Holmes, leurs recherches furent méthodiques et disciplinées, les indices furent passés au crible et les pistes furent suivies avec le flair d'un grand limier. Très vite, cette cogitation générale entraîna la création d'une sélection d'artificielles aux noms magiques qui restèrent efficaces pendant des décennies. Certaines d'entre elles sont toujours dans nos boîtes à mouches et continueront à nous prendre des poissons pendant de longues saisons à venir. Jock Scott, Munroe Killer, Silver Doctor, Thunder & Lightning, autant de noms de légende qui évoquent les rivières d'Ecosse, le whisky au goût de tourbe et des poissons d'argent sur la berge.

Mais tout cela, c'était du temps béni où les saumons remontaient nos rivières en rangs serrés. La loi des probabilités faisait alors que les prises étaient plus nombreuses et certainement plus aisées que de nos jours. Depuis lors, l'avarice et la bêtise humaine ont très rapidement changé les données du problème, les filets dérivants et la pollution se sont chargés d'éclaircir les rangs des salmonidés cherchant à remonter les rivières pour perpétuer leur race, et tout d'un coup...plus rien n'est élémentaire... mon cher Watson!

Le nombre de saumons présents dans les pools ayant progressivement diminué dans la quasi-totalité de nos rivières européennes, il est évident que le nombre des captures a lui aussi subi en conséquence une réduction progressive inquiétante.

Paradoxalement, la diminution des stocks de saumons sauvages a eu plusieurs effets positifs sur la pêche du saumon à la mouche. L'abondance engendre souvent l'immobilisme et le dogmatisme, pourquoi changer une méthode éprouvée qui donne de bons résultats?

La disette, quant à elle, força les pêcheurs frustrés à redécouvrir les valeurs éducatives du "système D". Lassés par de trop fréquentes bredouilles, ces derniers commencèrent à bouder les mouches traditionnelles, se remirent à leurs étaux et innovèrent.

L'utilisation de nouveaux matériaux (poils, fibres synthétiques), de nouveaux coloris (fluos), et de nouvelles techniques de constructions (mouches articulées, tubes-flies, Wadingtons) permirent de donner cours à son imagination et de ce fait à restaurer l'enthousiasme nécessaire à la réussite.

Il est en effet indéniable que deux des ingrédients complémentaires essentiels à la réussite au saumon sont l'enthousiasme et la confiance dans son leurre. Il est indéniable que lorsque l'on ratisse pendant des heures un pool sans résultats, le fait de changer de mouche vous redonne momentanément un regain d'espoir et la qualité de vos lancers et le niveau de votre concentration s'en ressentent immédiatement.

Parallèlement, au lieu de chercher à "lire l'eau" et de " sentir le coup" comme avant, les pêcheurs commencèrent à disséquer tous les paramètres qui pouvaient à leurs yeux avoir un effet sur le comportement des saumons en rivière. Température, débits et couleur de l'eau, vitesse du courant dans un pool donné. Certains finirent même par inventer une sorte de petit calculateur vous indiquant la taille de la mouche à choisir en fonction de ces paramètres. Plus personne n'osait plus se présenter sur un pool sans son thermomètre et son bulletin météo...

Si je tiens compte personnellement et souvent inconsciemment de certaines de ces indications et que j'admets volontiers qu'elles influencent sans aucun doute toujours un peu le choix de mon artificielle lorsque je m'apprête à pêcher un pool, je dois vous avouer que j'aimerais bien être convaincu à 100% que telle ou telle artificielle est la mouche idéale à une période donnée.

Les circonstances de pêche durant le mois de septembre 1997, période à laquelle un nombre impressionnant de saumons remontèrent la rivière Suir, ébranlèrent dramatiquement des convictions que je croyais jusqu'alors immuables.

Les eaux de la rivière étaient claires, leur débit normal, leur température oscillait entre 13 et 14°C et le temps était souvent clair, toutes ces informations indiquaient le choix d'une mouche plutôt claire en taille saumon 8 et l'utilisation d'une soie flottante. Le résultat ou plutôt le manque de résultats fut effrayant. Le "zéro pointé" sur toute la ligne et le tout sous l'oeil rigolard et condescendant des pêcheurs locaux qui prenaient sur la rive d'en face et sous notre nez saumon après saumon avec des cuillers "Quimperloises" noires et rouges de 18gr et de près de 10 cm de long! Rien n'y fit, ni les multiples changements d'artificielles, ni les changements de vitesse de nage, ni les variations d'angle de dérive. "Le Trafalgar" complet. L'ironie du sort est que, les saumons que nous prîmes finalement à la mouche pendant ce mois, nous les devons à un de mes clients, débutant à la mouche, qui eut la bonne idée de présenter à l'aide d'une soie plongeante des grandes mouches à longues queues imitant plutôt bien les fameuses "Quimperloises".

Cette cuisante leçon d'humilité, mais néanmoins nécessaire, a renforcé ma conviction que la réussite au saumon dépend en majeure partie de trois facteurs essentiels. Premièrement, que la présence d'un ou de plusieurs "saumons mordeurs" dans un pool facilite grandement la tâche, deuxièmement que le taux d'assiduité dont on fait preuve pour lire et pêcher correctement un pool a une incidence directe sur la qualité de vos résultats et finalement que savoir sortir des "sentiers battus" peut parfois vous éviter "d'embrasser Fanny".

Jean-Loup Trautner©2004

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