SAUMONS ET FARIOS SAUVAGES A LA MOUCHE SUR LA SUIR EN IRLANDE

Il y a longtemps déjà, j'avais décidé de venir pêcher en Irlande et ne sachant pas où me rendre tant les destinations de pêche étaient nombreuses et plus tentantes les unes que les autres mon choix semblait ardu et complexe. J'eus néanmoins la bonne fortune de rencontrer un ami, Jean Rapilly, président de TOS, qui me conseilla d'aller pêcher la Suir dans le comté du Tipperary, rivière qu'il tenait en haute estime, l'ayant déjà pêché à plusieurs reprises et qui avait à chaque fois comblé tous ses désirs de pêcheur à la mouche fanatique. Fort de ses conseils éclairés, j'embarquais donc un jour de juin 1977 sur le ferry le St Patrick avec armes, cannes et bagages, bien décidé à m'enivrer de glorieux coups du soir et de non moins glorieuses pintes de Guinness...

Ce fut le coup de foudre et 18 ans plus tard je vis toujours ma passion au bord de cette rivière magnifique et depuis 7 ans j'ai décidé de partager cette manne avec d'autres pêcheurs enthousiastes désirant s'attaquer à de vrais poissons sauvages qui restent en toutes circonstances des adversaires dignes de ce nom. Qu'ils soient migrateurs ou bien sédentaires, les poissons de la Suir ont laissé une empreinte indélébile sur le pêcheur à la mouche fanatique que je suis et saisons après saisons ils continuent de me fasciner et c'est eux qui me ramènent chaque printemps la canne à la main et l'espoir au cœur...

Si la réputation de la Suir pour la pêche à la truite à la mouche n'est plus à faire, elle est moins connue comme rivière à saumons, bien qu'elle soit le témoin privilégié d'importantes remontées de saumons de février à septembre. De nombreux pools de la Suir se prêtent admirablement à la pêche de ce poisson à l'aide d'une grande canne à 2 mains et si, d'aventure, ce dernier boudait... comme c'est si souvent le cas... il leur est toujours possible de reprendre leurs fins fleurets et se venger sur les farios...

Cette dualité de pêches possibles permet aux pêcheurs à la mouche de profiter au maximum de leur séjour halieutique en Irlande. Rivière attachante, complexe mais souvent généreuse, la Suir est un terrain d'essais incomparable pour les pêcheurs lassés des truites de bassine.

Les nombreuses années passées sur ses rives m'ont procuré des joies inoubliables et si je possède maintenant une connaissance approfondie des humeurs de cette belle rivière et de ses affluents, et que mes résultats sont plus constants, ce n'est pas sans avoir essuyé de glorieuses bredouilles et de cuisantes humiliations rendues encore plus cruelles les jours où elles furent endurées alors que la rivière bouillait littéralement de gobages.

Un des atouts principaux de la Suir est la qualité de ses farios sauvages, poissons en excellente condition, combatifs et rusés, connaissant et usant à merveille le milieu dans lequel ils évoluent. La qualité, la quantité et la variété de la micro faune (larves, nymphes, gastéropodes, insectes terrestres, crustacés) expliquent la qualité étonnante de la pêche à la mouche sous toutes ses formes (sèche, noyée, nymphe) sur la Suir et l'absence totale de poissons blancs et de prédateurs du genre brochets, sandres, silures, perches et autres explique la densité exceptionnelle des truites dans la rivière (3200 truitelles de 12cm et plus par hectare et 1 truite adulte par 5 m³), la prédation sur les animaux malades ou chétifs étant faite ici par les loutres, les anguilles, les hérons et les visons.

Car c'est aussi cela la Suir, les rencontres fréquentes avec une vie sauvage qui a disparue ailleurs, et si le nombre des prises et des gobages est important, la rencontre d'une loutre joueuse chassant vos truites ou d'un vison furtif se gorgeant d'une truitelle imprudente ne le sont pas moins et la sensation "d'appartenir" que l'on ressent en pêchant cette rivière est souvent intense et rare.

La Suir prends sa source dans les Devil Mountains dans le nord du Comté de Tipperary et, depuis Templemore jusqu'à l'estuaire à Carrick-on-Suir, son cours est une longue succession de grands calmes, de portions lisses et rapides (glides) précédant des rapides peu profonds entrecoupés de petits barrages (weirs) de tuf naturel ou bien construits de mains d'hommes dans le but d'arrêter pour un temps la migration des saumons vers l'amont. Ces constructions et ces obstacles créent des "pools" magnifiques et des habitats variés qui conviennent à merveille aux salmonidés sédentaires et migrateurs qui peuplent cette rivière. De nature semi-calcaire, la Suir ressemble beaucoup à la Loue, et les méthodes de pêche et les artificielles employées sont très similaires à celle utilisées par les pêcheurs francs-comtois et les habitués de cette rivière française.

Atteignant une largeur de 30 à 40 mètres près de l'estuaire et mis à part quelques pools profonds et quelques trous réputés et bien entendu le chenal central, cette grande rivière est pratiquement pêchable partout en wading et de plus le fond étant pratiquement uniquement constitué de graviers et de rochers peu glissants la pêche dans l'eau, d'ailleurs indispensable à un bon résultat, reste partout sûre et aisée.

La rivière, riche en herbiers, et aux rives souvent boisées présente un milieu idéal au développement d'une multitude d'espèces d'insectes aquatiques et bien que les herbiers soient des lardiers copieusement remplis, les truites sont néanmoins très actives en surface ou juste sous la surface ce qui permet de pêcher très souvent en sèche ou en nymphe. Mis à part les éclosions massives de grosses phryganes au crépuscule, à partir du mois de juin, la pêche en sèche se fait la plus part du temps avec de petites imitations (16/18/20) et avec des bas de ligne très fins (14/12/10). En effet la rivière n'a pratiquement aucune éclosions importantes de mouche de mai et même lorsque quelques spécimens flottent le long du courant, ils sont rarement pris par les truites.

Les farios de la Suir semblent être fascinées par les mouches de très petite taille et cette tendance quelque peu déroutante est souvent l'une des raisons majeures des bredouilles retentissantes que l'on doit endurer de temps à autres sur cette rivière. Par exemple, pour être plus spécifique, lorsqu'il y a une éclosion de Caenis sur la rivière, ces misérables petites pestes provoquent les gobages les plus incroyables dont j'ai été le témoin et cependant ces éclosions massives coïncident avec mes souvenirs les plus déprimants de parties de pêche aussi douloureuses que vaines.

De même, les vrais fanatiques de la pêche à la nymphe trouveront la Suir à la hauteur de leur réputation et cette rivière leur posera de nombreux problèmes techniques et tactiques. En effet les truites nymphent souvent pendant la journée, petits gobages presque imperceptibles et qui par eaux basses et temps clair sont très difficiles à couvrir proprement et par eaux et visibilité normales les fonds très noirs de la rivière rendent le repérage des poissons actifs sous la surface souvent très difficile.

Malgré l'énorme densité de truites qui la peuple, la Suir n'est pas une rivière facile à pêcher, en réalité c'est le type même de la rivière pour pêcheurs, j'entends par là que les paniers seront souvent proportionnels à la qualité de la technique du pêcheur et de nos jours où trop de rivières européennes sont repeuplées à l'aide de truites de bassine ce fait est plutôt rassurant et le vrai pêcheur sera enchanté du challenge que lui présentera la rivière.

De même le débutant, le néophyte, aura la possibilité d'attaquer beaucoup plus de gobages et de ce fait aura l'occasion d'améliorer sa technique et corriger ses défauts plus rapidement et il quittera les rives de la Suir meilleur pêcheur sans aucun doute. Il est plus facile d'apprendre et de progresser grâce à ses erreurs et ses défaites et c'est toujours en pêchant des eaux et des poissons difficiles que l'on affine sa technique et qu'on améliore ses résultats.

La rivière étant grande, puissante et large : le choix du matériel est important si l'on veut profiter au maximum de son séjour de pêche sur la Suir. Je conseille une canne puissante à une main de 9 ou 9½ pieds avec une soie DT 5/6 comme choix de base. Une canne de 10 pieds et plus, genre réservoir convient aussi et peux servir à pêcher les petits saumons (castillons) à la mouche.

Les affluents de la Suir sur lequel j'ai des parcours de pêche privés (l'Anner, la Tar, le Lingaun) sont bien évidemment moins larges (10m en moyenne) et leurs eaux étant plus précoces que celles de la Suir, il est possible d'y pêcher à la mouche sèche dès la fin-mars. Évidemment, à cette époque, les poissons gobent généralement entre 12h et 3h de l'après-midi, aux heures chaudes de la journée durant lesquelles les Rhodani d'hiver et les Cow-Dun éclosent. Pour pêcher ces tributaires plus étroits un matériel plus léger s'impose et une canne de 7½, 8, 8½ pieds est un bon choix, soies DT 4/5 et pointes en 12/10‰), les artificielles sont pratiquement les mêmes que celles utilisées sur la grande rivière. La pêche de ces petites rivières demande moins d'adaptation que celle de la Suir, en effet c'est une forme de pêche plus familière à une grande majorité des pêcheurs à la mouche car les truites gobent "au poste" et sont plus faciles à leurrer que celles de la grande rivière qui se déplacent plus volontiers et qui rendent la recherche de la bonne dérive plus délicate.

Ces affluents sont poissonneux et c'est sur l'un d'entre eux l'Anner, que j'ai pris ma plus grosse fario irlandaise en sèche (4½ livres), de plus ils permettent de pratiquer notre sport favori plus tôt dans la saison mais dès que juin arrive la Suir règne suprême à mes yeux.

Les artificielles françaises donnent d'excellents résultats et particulièrement les culs de canard réussissent aussi bien en émergentes qu'en sèche imitant des éphémères ou bien des phryganes et ce modèle est vraiment l'artificielle passe-partout. Par journées ensoleillées, l'Altière et la Tricolore de Bresson permettent souvent de tirer son épingle du jeu, et de tous petits moucherons noirs ou gris (souvent à double-collerette du type Fore & Aft britannique) restent les artificielles de base lorsque les conditions sont difficiles.

Les fameux coups du soir sur la Suir sont toujours des moments magiques et comme la pêche de nuit est autorisée en Irlande, rien ne vous empêche de pêcher jusqu'à une heure avancée de la nuit. En effet la proximité du cercle polaire fait que les nuits sont rarement très noires en Irlande et le fait que la Suir soit principalement orientée d'est en ouest, il est possible de pêcher dans le miroir qui se forme devant vous lorsque l'on pêche directement vers l'amont et après une ou deux soirées d'adaptation il vous sera possible de détecter des gobages même très tard le soir. A ces heures tardives les éclosions massives d'olives à ailes bleues sont généralement suivies par celles non moins importantes de phryganes de toutes tailles et c'est alors le moment magique où la rivière semble être en ébullition, tant les gobages sont nombreux et bruyants.

C'est l'heure où les locaux viennent pêcher. La plupart du temps, ils pêchent en noyée avec un train de trois mouches représentant un panaché des éclosions du moment. Ils utilisent un matériel puissant (cannes de 10 pieds et soies de 7/8, des bas de lignes d'au moins 18/20‰), leurs mouches sont des modèles célèbres aux noms magiques (Wickam's Fancy, Bloody Butcher, Alexandra, Black Pennel, Peter Ross, Cinnamon Sedge, Murrough, B.W.O, Iron Blue Dun, etc.) et de grande taille 12/14. Armés de cet attirail peu sophistiqué, ils ratissent les têtes de courant jusqu'à une heure avancée de la nuit. Leurs résultats sont souvent excellents malgré la grossièreté de leur équipement, mais cette méthode de pêche bien que communément utilisée a ses inconvénients. En effet la touche se faisant dans la majorité des cas en aval du pêcheur, le nombre de décrochages est élevé et en été l'on casse souvent sur des Castillons (petits saumons de 4 à 8 livres) qui se laissent fréquemment tenter par ces petites artificielles présentées à quelques centimètres sous la surface.
Cette méthode de pêche permet d'ailleurs sur les parcours de la Basse-Suir de capturer à la nuit quelques truites de mer, car ces salmonidés, bien que toujours en petit nombre, remontent assez souvent la Suir sur quelques kms avant de redescendre dans l'estuaire, ne trouvant sûrement les eaux de la Suir pas assez acides pour leur goût.
Vers la fin du mois du mois de mai, il est possible de pêcher à la mouche des aloses feintes sur les parcours à la limite de la marée. Ces poissons prennent souvent très bien une mouche blanche et argent présentée en noyée sur une soie à pointe plongeante. Leur combativité est, comme celle de tous les poissons anadromes, exceptionnelle et ceci rend leur pêche très amusante.

C'est aussi vers la fin-mai que la pêche au saumon à la mouche commence à vraiment donner de très bons résultats. En effet, si les poissons précoces de printemps acceptent parfois une mouche-tube lestée sur soie à pointe plongeante avant cette période, c'est vraiment l'arrivée des grilses en mai (castillons) qui signale le début de la vraie pêche à la mouche au grand fouet (canne de 14/15 pieds, soies flottantes DT 9/10/11). Ces poissons très fantasques acceptent volontiers une petite mouche (6/8/10/12) bien présentée et leur pêche à la mouche est passionnante. La Suir se prête à merveille à ce genre de pêche car les pools y sont très bien définis et les courants sont forts et puissants sans être torrentueux comme certaines rivières norvégiennes, rendant la pêche au grand fouet relativement aisée. La pêche dans l'eau étant facile partout cela permet de couvrir les postes à saumons aisément et efficacement et de même il est facile de combattre et d'échouer les poissons qui se sont montrés imprudents.

Plus tard dans la saison (juillet/août), il est possible de pêcher ces poissons à l'aide d'une canne à une main et là, les sensations fortes sont garanties comme peux le témoigner un de mes clients qui pris un grilse de 8 livres, à l'aide d'une canne à 1 main de 8 pieds et sur 16‰ !!!! Ce résultat étonnant est bien sûr l'exception qui confirme la règle et je conseille plutôt d'utiliser pour ce genre de pêche une canne puissante de 9 pieds minimum avec une soie de 6/7/8 et au moins un backing de 50m sur le moulinet car, sur la Suir, on ne sait jamais trop ce qui va se passer lorsque l'on pêche le saumon.

En effet chaque année, les plus gros saumons pris à la ligne en Irlande, sont pris sur la Suir et cette rivière possède d'ailleurs toujours le record du plus gros saumon pris à la ligne (57 livres).

Bien sûr, de nos jours, il ne se prend plus de saumons de cette taille en Irlande, ni même ailleurs en Europe, néanmoins, chaque saison des saumons de plus de 30 livres sont pris sur la Suir et si la majorité d'entre eux à un ver ou à un engin métallique bien présentés par eaux froides, je continue à rêver de prendre un jour un de ces monstres à la mouche...

Les artificielles qui marchent au saumon sur la Suir sont légion. Dans un souci de simplification, il est intéressant pour le pêcheur de diviser sa boite à mouche en 5 catégories bien distinctes.

MOUCHE

METEO

EXEMPLE 1

EXEMPLE 2

EXEMPLE 3

Très claire

Ensoleillé

Silver blue

Kenny's Killer

Silver Doctor

Claire

Bonne visibilité

Logie

Pot Scrubber

Yellow Torrish

Normale

Couvert

Blue Charm

Lemon Grey

Green Highlander

Sombre

Visibilité faible

Thunder & Ligthning

Sweep

Munroe Killer

Crevette

Eaux très basses et chaudes (été).

General Practitionner

Purple Shrimp

Blue Shrimp

 

Pour ma part, ayant pêché à un moment ou à un autre avec tous les modèles traditionnels et réputés, écossais pour la plupart, j'ai depuis quelques années développé une série bleue de quatre mouches qui me donnent entière satisfaction. Comme le nom de la série l'indique, la couleur de base de ces modèles est le bleu et les mouches se différencient les unes des autres simplement par une opacité différente. Montés en quatre tailles différentes ces modèles me permettent de faire face pratiquement à toutes les éventualités et ont le mérite de simplifier au maximum le choix douloureux de la mouche exacte.

La Suir est l'une de ces rivières où il est encore possible de rêver et de se faire plaisir sur des poissons dont l'authenticité n'est pas douteuse. Prendre un saumon est toujours un privilège et jamais un dû... Néanmoins, armé d'espoir et la persévérance, il est toujours possible de prendre un saumon sur cette rivière et si par malchance Salmo Salar faisait trop le difficile, Trutta Fario sera toujours là pour ranimer la flamme de votre passion...
 

ARTIFICIELLES POUR LE SAUMON SUR LA SUIR

- Munroe Killer
- Thunder & Lightning
- Kenny's Killer
- Pot Scrubber
- Hairy Mary
- Sweep
- Black Maria
- Purple Shrimp et ma série "Mouches pour la Suir"

**Les tailles les plus couramment utilisées sont les suivantes: 6/8/10/12 et parfois l'été par eaux très basses

ARTIFICIELLES POUR LA TRUITE SUR LA SUIR ET SES AFFLUENTS

- Cul de Canard en sèche, émergente(16/18) et phryganes (10/12/14/16).
- Altière (16/18/20).
- Devaux A4 / 929/ 917/420.
- Tricolore et Paysanne de Bresson (16/18).
- Tup's Indispensable (16/18).
- Moucheron noir à double collerette (16/18/20).
- Pheasant Tail Red Spinner (14/16).
- Phryganes foncées (10/12).
- Fourmis noires et rouges en petites tailles (18/20).
- Blue Wing Olive /Iron Blue Dun ( 16/18).
Mars/fin-avril : Grande olive sombre, Rhodani d'hiver.
Fin-avril/mi-mai : Olive moyenne, éphémère bleu de fer.
Mi-mai/mi-juin : Simulies, Chironomes, Moucherons et mini-moucherons, éphémères pales, Olives à ailes bleues, caenis, mouche de St Marc, mouche de l'aubépine, mouche de l'aulne, mouche de la St Jean.
- Mouche de pierre jaune.
Mi-juin/mi-juillet : Olive à ailes bleues, éphémères pâles et éphémères pâles du soir, petite olive sombre, phryganes cannelle et rouge, moucherons noirs et verdâtres.
Septembre : éclosions dominantes d'olives à ailes bleues, de chironomes et de phryganes marbrées.

Jean-Loup Trautner©1995

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