LES BÊTES NOIRES DE L'ÉTÉ IRLANDAIS
S'il est vrai
qu'en période estivale, l'Irlande des pêcheurs de truite à la mouche est surtout
célèbre pour ses merveilleux coups du soir, c'est néanmoins la pêche diurne
qui offre souvent au moucheur ses plus grands challenges. Les mouches
microscopiques qui éclosent pendant les journées ensoleillées sur les grandes
rivières semi-calcaires du sud de l'île testeront sans aucun doute les limites
de votre patience et l'étendue de votre compétence halieutique. En juillet et août sur la rivière Suir, les éclosions typiques sont celles d'olives à ailes bleues, d'éphémères pâles et d'éphémères pâles du soir, de phryganes cannelles et rouges, de Silverhorn et de Murrough et l'activité de surface matinale et crépusculaire qu'elles déclenchent est souvent frénétique, permettant souvent au pêcheur à la mouche de faire des cartons impressionnants. Par contraste, les moucheurs découvrant cette rivière en période estivale sont souvent déroutés par les difficultés à faire monter des poissons, pourtant visiblement actifs, pendant les journées fortement ensoleillées. Finis les multiples gobages bruyants et avides du coup du soir tapissant la rivière, finis les éphémères trapus dérivant la voile haute et les grosses phryganes zigzaguant à la surface, le menu a changé et les farios se tiennent à table différemment. Les insectes qui dérivent, souvent si ténus qu'ils en sont presque invisibles sont interceptés par les farios sauvages avec une discrétion infinie. Les gobages trahissant les prises sont presque imperceptibles et la localisation des poissons actifs est délicate et demande beaucoup de concentration de la part du pêcheur. L'importance que tiennent ces petites mouches dans l'alimentation des truites d'une rivière n'est plus à démontrer, et leur présence en grand nombre dans un cours d'eau témoigne de la qualité de ce dernier. Pendant les mois d'été en Irlande, les mouches diurnes sont toujours de très petite taille ; Simulies, Midges, Chironomes, Caénis, leurs imitations sont souvent difficiles à réaliser et la taille des hameçons employée augmente d'autant le décrochage des belles pièces. Tout concours à frustrer le pêcheur et à diminuer ses chances de réussite. La petitesse de ces insectes explique en partie qu'il est souvent extrêmement difficile de déceler ce que prennent les farios et si elles interceptent leurs proies en surface (insecte ailé), juste sous la surface (insecte émergeant) ou bien plus profondément (nymphe). Si la forme des gobages et des remous vous donnent parfois des indications positives sur ce que prennent les poissons, il n'en reste pas moins vrai que seule une connaissance intime de la faune aquatique locale et le choix d'une imitation adéquate vous permettra de tirer votre épingle du jeu. Une étude rapide des partis en présence devrait simplifier votre tâche.
- Les fameuses
Black Curse (Peste du pêcheur) des Iles Britanniques, les simulies sont de
très petits diptères (3/4mm) noirs ou marron foncé, préférant les eaux
courantes et de ce fait rencontrés fréquemment sur les rivières semi-calcaires
d'Irlande. Les oeufs, pondus sous l'eau, éclosent en quelques jours et les
larves, ressemblant à de petits asticots minces créent rapidement des étuis en
forme de cône adhérents à la végétation aquatique dans lesquels ils finissent
par muer (chrysalide) pour ensuite émerger vers la surface dans une bulle
gazeuse qui crève en surface, laissant l'insecte sec et immédiatement prêt à
s'envoler. Cette particularité explique qu'il est souvent préférable de pêcher
en émergente légèrement sous la surface plutôt qu'en
sèche.
Traditionnellement associés avec les eaux des lacs et réservoirs, il est intéressant de noter que leur importance dans les eaux courantes a graduellement augmenté ces dernières années. Les oeufs sont
déposés en surface et forme des petits radeaux. Ils éclosent en quelques jours
et les larves descendent vers le fond et se fabriquent une sorte d'étui à l'aide
de boue ou bien se creusent un terrier dans le sable ou un sablier dans la
terre !!! Après plusieurs mues, elles se métamorphosent dans leur abri et
lorsque les conditions sont favorables les nymphes montent en surface, l'insecte
ailé émerge rapidement et s'envole aussitôt. Le fait que la nymphe des
chironomes reste souvent suspendue verticalement sous la surface pendant
longtemps favorise généralement la pêche en émergente. L'insecte ailé est
généralement de petite taille, 3,5mm, le corps peut être noirâtre, brunâtre ou
verdâtre et les ailes sont toujours blanchâtres. Les éclosions de Chironomes,
les Midges des anglo-saxons, sont toujours massives, malgré cela les truites
actives sont toujours très sélectives et restent difficiles à
leurrer.
L'infâme White Curse (Peste blanche) responsable de tant de déprimes causées par d'interminables séances de lancer improductives. Certaines espèces de Caenis sont extrêmement petites, rendant leur imitation très problématique. Les nymphes microscopiques vivent cachées dans les mousses aquatiques mais aussi dans le limon. Les éclosions de caénis sont parfois si denses qu'elles créent alors un véritable tapis à la surface de l'eau. Les farios sauvages irlandaises en raffolent et s'installent sur ces micro-moucherons dès que la table est mise. Le problème posé
par la présence de ces insectes sur l'eau est compliqué par le fait que le cycle
nymphe-imago-spent
ne dure qu'environ 90mn.
L'insecte étant toujours présent en surface sous ces trois formes, reconnaître
avec exactitude ce que prennent les truites est quasiment impossible. De plus,
pendant les éclosions de Caénis, les truites sont toujours extrêmement
sélectives rendant leur capture excessivement difficile mais néanmoins possible
bien que les résultats soient toujours modestes. Les imitations mentionnées sont celles qui me donnent régulièrement satisfaction sur mes parcours de pêche de la Suir. Il existe bien sur beaucoup d'autres artificielles imitant ces petites bêtes noires. Toutes sont bonnes à essayer mais choisissez néanmoins les montages les plus dépouillés qui marchent souvent bien mieux que les imitations trop détaillées. Evitez comme la peste les moules à ailes rigides qui vrillent les pointes de bas de ligne. Il est recommandé d'utiliser des bas de ligne très longs de 3m minimum et des pointes ultra fines en 10/100ème. Il est souvent indispensable de pêcher en sèche en faisant des lancers 3/4 aval afin de présenter l'artificielle avant le bas de ligne. Enfin, recherchez les zones d'ombre au bord des rives et les bordures de courant où les poissons sont souvent nettement moins méfiants. En ce qui me concerne, je considère ces séances de pêche délicates comme le nec plus ultra de la pêche à la mouche et les farios sauvage durement gagnées sous le cagnard de l'été irlandais sont à mon avis l'accolade ultime pour tout pêcheur à la mouche qui se respecte. Les puristes le savent... c'est pourquoi ils reviennent souvent pêcher la Suir... |
Jean-Loup Trautner©1996 |
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